mercredi 2 novembre 2016

Qu’est-ce que la queerisation du français?

Réponse courte

La queerisation du français est l'action de rendre le français plus épicène, de le « décoloniser du genre », pour ainsi dire.

Réponse longue

Au cours des dernières semaines, j'ai quelquefois parlé de la queerisation du français dans Le Collectif, sans mentionner tout à fait explicitement de quoi il retourne. Quelques collègues et amis m'ont donc demandé des éclaircissements.

Le concept n'est guère aussi compliqué qu'il peut paraitre. En gros, la queerisation du français est « l'action de créer des néologismes de sens ou de forme, afin de dégenrer progressivement le lexique et la grammaire de cette langue [...] cela consiste donc à inventer de nouvelles manières de parler de personnes sans avoir à les associer systématiquement au genre féminin ou masculin1. »

L'enjeu m'apparait être majeur, et on ne fait que commencer d'en parler. Toutefois, à mon sens, la queerisation du français, par l'ampleur de sa portée symbolique, représente au XXIe siècle, ce que sa féminisation a représenté au XXe siècle.


1. « La queerisation du français – Petit lexique épicène pour la famille », Sherbrooke, Le Collectif, vol. 40, no 5, 1er novembre 2016, p. 12.

lundi 17 octobre 2016

Comment traduire « sibling » en français?

Réponse courte

On peut traduire le mot anglais sibling par l'équivalent français adelphe.

Réponse longue

Le mot anglais sibling n'a pas de traduction courante en français. Tout au plus, il se traduit, au masculin, par frère et, au féminin, par sœur.

Pour combler le vide lexical, certains groupes trans québécois utilisent le mot-valise frœur, qui est obtenu par le télescopage de frère et sœur. Ce mot a toutefois un gros inconvénient : il se prononce d'une manière très proche de frère, bien plus que de sœur. Pour le dire un peu plus précisément (attention, jargon linguistique en vue :P), le mot frœur est un paronyme de frère, puisqu'il en emprunte toutes les consonnes et ne s'en distingue que par un noyau vocalique de même aperture.

À la place de frœur, je suggère donc d'utiliser le mot adelphe pour traduire sibling. Comme expliqué précédemment, « [l]e terme adelphe provient du grec ancien ἀδελφύς (adelphós), un adjectif qui pourrait se traduire approximativement en “relatif aux enfants de mêmes parents”1. »

Les mots fraternel et sororal peuvent pour leur part être remplacés par l'adjectif adelphique, qui est déjà assez bien connu par les généalogistes et les anthropologues en ce sens. Le mot fratrie, utilisé comme nom collectif pour désigner l'ensemble des adelphes d'une même famille, peut quant à lui être remplacé par le nom féminin adelphie.


1. « La queerisation du français – De frère et sœur à adelphe », Sherbrooke, Le Collectif, vol. 40, no 3, 4 octobre 2016, p. 6.

dimanche 2 octobre 2016

Comment traduire « empowerment » en français?

Réponse courte

On peut traduire le mot anglais empowerment par l'équivalent français agentivation.

Réponse longue

Quiconque s'intéresse réellement aux luttes féministes et queers de notre époque connait bien le mot empowerment. Mais comment donc le traduire en français?

En 1998, l'Office québécois de la langue française (OQLF) proposait d'utiliser le terme autonomisation pour remplacer empowerment1. L'idée n'était pas mauvaise, mais elle demeure tout de même un peu insatisfaisante : le concept auquel on tente de renvoyer ne se limite pas à une prise d'autonomie.

Ne trouvant aucun remplaçant me satisfaisant pour empowerment, j'ai donc dernièrement2 suggéré d'y aller d'une proposition toute neuve : agentivation. Ce néologisme m'est venu en tête après avoir rencontré agentivité (qui signifie en gros « pouvoir d'agir ») dans des travaux exposant la pensée de Judith Butler3.

En espérant ne pas être trop chauvin, je considère que le terme agentivation traduit mieux le concept d'empowerment que le terme autonomisation, car il est question d'acquérir un pouvoir d'agir et non pas seulement une autonomie. La distinction est importante, puisque le vrai pouvoir d'agir est généralement solidaire par définition (l'union fait la force, tant les Stroumphs que les vrais leadeurs le savent!) alors que la recherche d'autonomie apparait plus susceptible de porter vers l'individualisme (l'autonomie est le fait de fonctionner hors des interdépendances).

Le terme agentivation a aussi un autre atout en main : de même famille que agente, il comporte l'avantage de souligner le caractère actif, par opposition à passif, des personnes qui prennent part au processus qu'il désigne.

En plus, on peut former le verbe agentiver (« to empower »), le participe passé agentivé (« empowered ») et l'adjectif agentif (« relatif à l'agentivité ») d'après agentivation. Quelques personnes audacieuses oseront-elles utiliser agentivation à la place de empowerment ou autonomisation? À moins que ça soit trop radical? :P


1. Gazette officielle du Québec (Partie 1 — Avis juridiques, 19 septembre 1998, 130e année, no 38, p. 1105)
2. « L'empowerment : d'autonomisation à agentivation », Sherbrooke, Le Collectif, vol. 40, no 2, 20 septembre 2016, p. 15.
3. La plus ancienne attestation de agentivité se trouve dans Havercroft, Barbara, « Quand écrire, c’est agir : stratégies narratives d’agentivité féministe dans Journal pour mémoire de France Théoret », Halifax, Dalhousie French Studies, no 47, été 1999, p. 93-113.